• 11 Mai 2015

    Marque et provenance géographique

    Cour d'appel de Paris, 23 mai 2012, n°10/04432



    Dans cette affaire, une société commercialisant de célèbres couteaux de poche reprochait à un exploitant d’un fonds de commerce de restauration l’utilisation à titre de nom commercial d’une de ses marques servant à désigner des produits et services de restauration.

    La demanderesse avait été déboutée en première instance de sa demande en contrefaçon de marque. En appel, la défenderesse lui opposait la nullité de sa marque pour défaut de distinctivité et déceptivité, du fait de la tromperie sur la provenance géographique des produits et services désignés.

    Aux termes de l’article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle, « {Le caractère distinctif d'un signe de nature à constituer une marque s'apprécie à l'égard des produits ou services désignés. Sont dépourvus de caractère distinctif : (…) b) Les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l'époque de la production du bien ou de la prestation de service} ». Ce texte exclut donc de la protection à titre de marque des signes servant à indiquer la provenance géographique du produit ou service désigné par la marque. La sanction a posteriori de l’absence de caractère distinctif est la nullité de la marque.

    La défenderesse a précisément fondé l’absence de caractère distinctif de la marque litigieuse sur le fait que cette marque correspond au nom géographique d’une commune de l’Aveyron, lequel est devenu usuel et générique pour désigner un type particulier de couteau.

    Selon la cour, si cette dénomination est devenue générique pour les couteaux de poche, elle est restée arbitraire et donc distinctive pour les produits et services de restauration, désignés par la marque litigieuse.

    Concernant l’appréciation de la déceptivité de la marque, la cour s’est référée à l’article L. 711-3 du Code de la propriété intellectuelle selon lequel : « {Ne peut être adopté comme marque ou élément de marque un signe : (…) c) De nature à tromper le public, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service } ».

    Les observations suivantes ont été formulées par les juges : il n’est pas démontré que la marque litigieuse serait perçue par le public comme désignant l’origine géographique des couteaux ; le lien entre le lieu de fabrication du couteau et la dénomination de la commune de l’Aveyron ne saurait être nécessairement établi par le public ; et il n’est pas non plus démontré que cette commune bénéficie d’une notoriété particulière pour des produits alimentaires ou de la restauration.

    La cour en a déduit que le signe litigieux servant à désigner des produits et services de restauration sera perçu par le client moyen comme désignant un type de couteau et non pas une commune de l’Aveyron. Que de ce fait, et spécifiquement pour les produits et services désignés, la marque litigieuse ne saurait désigner une provenance géographique et n’est donc pas trompeuse aux yeux du consommateur.

    La cour a débouté le défendeur de sa demande de nullité de la marque après avoir constaté le caractère distinctif et l’absence de tromperie induite par la marque reprenant un nom géographique.
  • 7 Avril 2014

    Droit des marques et référencement sur internet

    High Court of justice, Chancery division, 10 février 2014 : Cosmetic warriors Ltd et Lush Ltd / Amazon.co.uk et Amazon EU SARL La question de l’utilisation sur internet de marques appartenant à des tiers a déjà été évoquée sur ce site concernant les pratiques liées à la réservation de mots clés sur le service Adwords de Google. Les stratégies publicitaires basées sur le référencement se déclinent désormais en de multiples variantes sur lesquelles revient la décision rendue le 10 février 2014 par la High Court of Justice. Les premiers agissements considérés par le juge londonien correspondaient à des faits assez classiques de « {position squatting} ». En l’espèce, la société Amazon avait acheté divers mots clés reprenant la marque « Lush » auprès du service Adwords. En pratique, l’internaute qui tapait le mot « Lush », ou une entrée associée à ce signe, dans le moteur de recherche Google, voyait s’afficher, à droite des résultats dits « naturels », des liens commerciaux, reproduisant la marque « Lush » et renvoyant vers le site Amazon UK. La société Amazon n’ayant pas l’autorisation de distribuer les produits Lush, les liens litigieux orientaient en réalité l’internaute vers des pages du site Amazon UK proposant des produits similaires vendus par des sociétés tiers. Sur ce point, les représentants de la société Amazon soutenaient en défense que le consommateur moyen, figure juridique de référence en la matière, étant habitué à la pratique des liens commerciaux sur les moteurs de recherche, était ainsi parfaitement à même de distinguer les liens internet propres à la marque Lush et ceux renvoyant vers les sites d’autres sociétés. Cet argument n’a pas convaincu le juge de la Chancery Division qui a estimé qu’en l’espèce, la présentation de l’annonce renvoyant vers le site d’Amazon ne permettait pas à l’internaute moyen de déterminer que le lien provenait d’un annonceur extérieur à la marque Lush. Plus précisément, le juge britannique a considéré que l’internaute, sachant que le site Amazon distribue une variété de marques très étendue, ne pouvait s’attendre à ce que cette société fasse figurer la marque Lush sur une annonce alors même qu’elle ne proposait pas à la vente les produits de cette marque. Selon la High Court, le risque de confusion entre les produits Lush et ceux vendus sur le site Amazon était ici manifeste puisque l’internaute pourrait avoir des difficultés à comprendre qu’il n’existe aucun lien économique entre Amazon et la société Lush. Les actes dénoncés constituaient donc, pour les juridictions britanniques, une atteinte à la fonction d’identification d’origine de la marque. La décision prend ainsi la suite des principes dégagés par la CJUE, dans l’arrêt Google France (CJUE, 23 mars 2010, C-236/08 à C-238/08 : Google France SARL et Google Inc. Contre Louis Vuitton Malletier SA). En effet, la juridiction de l’Union avait alors estimé que : « le titulaire d’une marque est habilité à interdire à un annonceur de faire, à partir d’un mot clé identique à ladite marque que cet annonceur a sans le consentement dudit titulaire sélectionné dans le cadre d’un service de référencement sur internet, de la publicité pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée, lorsque ladite publicité ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute moyen de savoir si les produits ou services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers ». Il est cependant des cas où les magistrats estiment que l’internaute moyen est à même de déterminer les origines respectives des liens figurant dans les résultats naturels et ceux affichés dans la partie des liens commerciaux. En l’espèce, la seconde annonce visée dans les demandes de la société Lush ne reprenait pas la marque Lush en elle-même mais affichait des noms de produits identiques à ceux généralement associés aux recherches liées à la marque, des « bath bombs » en l’occurrence. Comme pour les premiers faits décrits, la fonction du lien commercial était donc de renvoyer l’internaute recherchant des produits de la marque Lush vers leurs équivalents dans des marques distribuées sur le site Amazon UK. Dans ce cas précis, l’internaute moyen a été considéré apte à différencier les annonces faisant référence aux produits de la marque Lush et celles liées à d’autres sociétés. La fonction d’identification d’origine de la marque n’ayant pas été affectée, les demandes de la société Lush ont été rejetées sur ce point. Ce point est à rapprocher de la décision rendue en 2012 par la chambre commerciale de la Cour de cassation dans une autre affaire de « position squatting » impliquant le service Adwords de Google (Cass. com., 25 septembre 2012, n° 11-18.110). Le raisonnement alors développé par les magistrats était très proche de celui de la juridiction britannique sur la question des bath-bombs : « l’arrêt relève toutefois que les annonces, qui sont classées sous la rubrique liens commerciaux et qui s’affichent sur une colonne nettement séparée de celle afférente aux résultats naturels de la recherche effectuée, avec ces mots clés, sur le moteur de recherche de Google, comportent des messages qui en eux-mêmes, se limitent à désigner le produit promu en des termes génériques ou à promettre des remises, sans référence implicite ou explicite aux marques, et sont chacune suivies de l’indication, en couleur, d’un nom de domaine ne présentant aucun rattachement avec la société Auto IES ; que la cour d’appel, qui en a déduit que chaque annonce était suffisamment précise pour permettre à un internaute moyen de savoir que les produits ou services visés par ces annonces ne provenaient pas de la société Auto IES ou d’une entreprise qui lui était liée économiquement mais, au contraire, d’un tiers par rapport au titulaire des marques, ce dont il ne résultait, en l’espèce, aucune atteinte à la fonction d’identification d’origine de la marque, a pu, […] retenir qu’aucun acte de contrefaçon de marque ne pouvait être imputé à M. X et aux sociétés Y. ». Pour les juges britanniques et français, réserver comme mot-clé, via un service tel qu’Adwords, un terme ou une expression identique à la marque d’autrui n’est pas répréhensible {per se}. Le cœur du litige se situe en réalité autour de la forme et du contenu de l’annonce générée par la saisie des mots réservés : est-elle susceptible de faire croire à l’internaute que les produits visés par l’annonce provenait de la société Lush ou d’une société économiquement liée? En l’espèce, pour le second type d’annonces, la société Amazon faisait simplement figurer des noms génériques de produits et cette circonstance ne semble pas suffisante pour induire le public en erreur selon la High Court. La seconde pratique soumise à l’examen de la cour londonienne différait quelque peu du « position squatting » connu de nos juridictions puisqu’elle s’opère directement sur le site internet de l’annonceur. En l’espèce, le moteur de recherche interne du site Amazon UK était basé sur un algorithme enregistrant les recherches des internautes afin de les afficher ensuite en tant que suggestion lors des requêtes suivantes. En l’espèce, une personne tapant l’expression « Lush », ou même simplement ses deux premières lettres, dans la zone de recherche du site, voyait s’afficher diverses suggestions (« Lush Beauty », « Lush Products » etc) qui renvoyaient à des pages Amazon UK proposant à la vente des produits d’autres marques, similaires ou proches de ceux entrés dans la requête de l’internaute. Une nouvelle fois, elle relève l’existence d’un risque de méprise de l’internaute moyen sur l’identité des sociétés proposant les produits associés à une requête comportant le mot « Lush » sur le site Amazon UK. Selon la High Court, ces utilisations de la marque Lush par la société Amazon UK ont porté atteinte à la fonction d’identification d’origine de la marque ainsi qu’à sa fonction publicitaire et d’investissement. Bien que les représentants d’Amazon aient fait savoir à la presse qu’ils envisageaient de faire appel de cette décision, la solution rendue permet aux observateurs de la matière d’envisager des solutions adaptées et proportionnées pour encadrer le développement des pratiques publicitaires impliquant l’utilisation de la marque d’autrui sur internet. Aux vues des convergences entre les applications françaises et britanniques de la jurisprudence Google France, cette décision de la High Court pourrait s’avérer intéressante à considérer à l’occasion des contentieux similaires qui ne manqueront certainement pas de s’élever devant nos juges nationaux. Il faut également relever ici que la responsabilité de la société Google pour les atteintes commises via son service de référencement publicitaire n’a pas été mise en cause. Les prestataires de référencement jouissent en effet, du fait de leur rôle supposé passif et strictement technique, d’un statut assez protecteur. Tel qu’il résulte de la décision Google France précitée, l’opérateur de référencement ne pourra voir sa responsabilité engagée que dans deux hypothèses : • s’il a joué un rôle actif dans la réalisation de la contrefaçon, en suggérant la sélection d’une marque concurrente par exemple, • si, après avoir eu connaissance des atteintes, il n’agit pas promptement pour supprimer le lien ou le rendre inaccessible. Son régime de responsabilité est assimilable à celui, dont bénéficient les hébergeurs de contenus. À ce titre, la cour d’appel de Paris s’est récemment prononcée en faveur de cette qualification d’hébergeur pour la société Google dans l’exploitation de son service Adwords (Paris, 11 décembre 2013, n° 12/03071). Le litige concernait ici la responsabilité de la société Google dans des faits d’atteintes à la vie privée d’un comédien. En l’espèce, les requêtes mentionnant le nom de l’acteur déclenchaient l’affichage, dans les liens commerciaux, d’une annonce renvoyant vers un article d’une revue people décrivant la vie sentimentale du comédien. Suivant une « analyse concrète du processus de création et de mise en ligne de l’annonce incriminée », comme préconisé par la CJUE, les juges d’appel ont considéré que , « le processus de création de l’annonce a été le fait de l’annonceur, en l’occurrence la société PRISMA, qui seule a rédigé le contenu des liens commerciaux, et a fait le choix des mots clés » et que « rien dans ce document (le contrat entre Google et l’annonceur ) ne démontre que les sociétés Google sont intervenues dans le choix des mots clés ou dans la rédaction de l’annonce, l’article 4.1 de ces conditions générales stipulait que le client est seul responsable des cibles des messages publicitaires et des informations accessibles sur les pages web », avant de conclure que « le statut des société Google est celui de l’hébergeur, qui n’est pas soumis à l’obligation de contrôle a priori des contenus fournis par les annonceurs selon la loi dite sur la communication numérique du 21 juin 2004 ». En pratique, la responsabilité des sociétés exploitant des moteurs de recherches proposant une fonction publicitaire n’est donc que très rarement engagée, ce qui peut sembler paradoxal étant donné leur rôle a priori déterminant dans la réalisation de la contrefaçon. Sans doute, la CJUE a t-elle considéré qu’une obligation de contrôle a priori serait, en pratique, difficile voire impossible à mettre en place. En réaction à la multiplication des contentieux autour de son service Adwords, la société Google a pourtant communiqué sur le développement de divers outils destinés à lutter contre les annonces enfreignant les droits des tiers (http://googleblog.blogspot.fr/2012/04/inside-view-on-ads-review.html). Ces procédures impliquent plusieurs niveaux de contrôles informatisés des contenus (annonce, site vers lequel renvoie l’annonce, compte de l’annonceur) et, éventuellement, pour les contenus les plus sensibles ou délicats à examiner, une vérification humaine en fin de processus. Les chiffres avancés par la société Google étant sujets à caution, il est pour l’instant impossible de déterminer l’impact de la mise en place de ces procédures sur la réalité des usages du service Adwords, du point de vue des titulaires de droits de propriété intellectuelle. Claire BOSSÉNO - Cabinet Agnès TRICOIRE
  • 30 Septembre 2013

    Un motif décoratif est-il susceptible de constituer une marque figurative distinctive?

    Cour d’appel de Paris, pôle 5, ch. 2, 14 décembre 2012 : Burberry Limited c/ SAS Gifi Mag

    Aux termes de l’article L. 711-1 du code de la propriété intellectuelle (CPI), une « marque de fabrique, de commerce ou de service est un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou d’une personne morale. ». Un signe ne peut donc constituer une marque que s’il présente un caractère distinctif. Cette exigence se retrouve également dans les textes unionistes (directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008 et règlement n° 207/2009 du 26 février 2009) qui font de l’absence de distinctivité de la marque un motif de nullité ou de refus d’enregistrement.

    La distinctivité de la marque s’évalue à deux niveaux :

    - par rapport aux usages habituels du secteur : la représentation de la marque est-elle usuelle dans le domaine concerné?
    - par rapport à la perception du public : le consommateur moyen assimile-t-il le signe à la marque associée ?

    C’est sur cette vaste question du caractère distinctif que la cour d’appel de Paris a dû se pencher avec la difficulté supplémentaire d’avoir à examiner une marque figurative uniquement constituée d’un motif décoratif.

    Il s’agissait ici pour les juges d’appel d’établir si le fameux « carreau Burberry » présentait la distinctivité nécessaire à son enregistrement au titre de marque communautaire. La question s’est posée suite à la retenue douanière de plusieurs milliers de chaussons contrefaisant, selon la société Burberry, sa marque enregistrée auprès de l’OHMI (Office de l’Harmonisation dans le Marché Intérieur). En première instance, le tribunal de grande instance de Paris (TGI Paris, 15 mars 2012) a rejeté l’action en contrefaçon engagée par la maison britannique. La société Gifi, destinataire des chaussons litigieux a, comme lui permet l’article 99 du Règlement communautaire 207/2009, contesté la validité de ladite marque et en a donc demandé la nullité. Les juges de première instance ont déclaré la marque nulle du fait de son défaut de distinctivité. La société Burberry a relevé appel de ce jugement.

    Le point le plus discuté du litige tenait à la nature même du motif élu par la société Burberry pour identifier sa marque. Le carreau Burberry est une adaptation des traditionnels tartans écossais et ce type de motifs est, à l’évidence, non appropriable car appartenant au folklore et donc au domaine public. A ce premier obstacle à l’enregistrement de la marque s’en ajoutait un autre de taille : la marque litigieuse était une variation en noir et blanc des carreaux Burberry ; l’absence de couleur rendait l’appréciation de la distinctivité encore plus hasardeuse en l’espèce.

    Afin de démontrer que le motif enregistré était communément utilisé dans le domaine vestimentaire, la société Gifi a produit plusieurs modèles de chaussons reprenant, selon elle, le quadrillage utilisé par la société Burberry.

    La cour d’appel n’a pas suivi cette position et a entamé son raisonnement en procédant à une fine description du motif enregistré : « Il s’agit d’une marque figurative constituée d’un carreau formé par trois lignes verticales claires également espacées, se croisant avec trois autres lignes horizontales claires également espacées, la couleur blanche prédominant aux points d’intersection des lignes intercalaires et d’une ligne unique verticale claire se croisant avec une ligne unique horizontale claire, sur fond plus sombre. ».

    Examinant les pièces présentées par la société Gifi, la cour d’appel a estimé qu’ « aucun des modèles de charentaises produits ne présente un motif strictement identique à celui du carreau Burberry ». Elle en a déduit que : « Les pièces fournies par l’intimée ne permettent donc pas de prouver que le carreau Burberry en noir et blanc appartiendrait au folklore celte ou écossais, qu’il serait très fréquemment utilisé dans le domaine vestimentaire, ce qui lui ôterait tout caractère distinctif. ».

    De même, sur la distinctivité du signe aux yeux du public concerné, la SAS Gifi avançait que la société Burberry utilisait le motif litigieux uniquement comme élément de décoration et non comme une marque. Ce raisonnement a été rejeté par la cour d’appel qui a relevé que « le fait que le carreau Burberry soit utilisé comme motif décoratif sur les chaussons en plus de son usage de marque ne fait pas obstacle à sa protection tant que le public concerné établit un lien entre le motif et la marque et qu’il ne perçoit pas uniquement le signe comme une décoration. ».

    La cour d’appel de Paris a donc estimé que le consommateur de ce type de produits faisait le lien entre ce motif particulier et la marque. Le carreau Burberry est donc, de ce point de vue, distinctif au sens où l’exige l’article L. 711-1 du CPI.

    C’est sur ces considérations que la cour d’appel de Paris a infirmé le jugement du TGI et affirmé la validité de la marque. Sur la contrefaçon, la société Gifi s’est ainsi vue condamner à une lourde amende en réparation du préjudice découlant de l’atteinte portée à la valeur patrimoniale de la marque Burberry.

    Il est intéressant de confronter la solution de cet arrêt à une décision rendue la même année par le Tribunal de première instance de l’Union européenne (TPIUE, 19 septembre 20112, T. 26/11 : V. Fraas GmbH c/ OHMI). Saisi d’une affaire concernant, là encore, l’enregistrement d’un motif écossais au titre de marque, le tribunal a pourtant estimé que le signe litigieux ne présentait pas de caractère distinctif.

    Selon les juges européens (point 74 et 75) : « il convient de relever que, d'un point de vue graphique, la représentation des carreaux en cause ne comporte aucune variation notable par rapport à la représentation conventionnelle de tels motifs et que, dès lors, le public pertinent ne percevra en réalité qu'un motif banal et courant. En conséquence, en l'absence d'éléments aptes à l'individualiser de telle sorte qu'elle n'apparaisse pas comme un motif ordinaire, la représentation en cause ne saurait remplir une fonction d'identification s'agissant des produits concernés. Elle est donc, en elle-même, dépourvue de caractère distinctif. ».

    Il faut ici noter que le raisonnement diffère légèrement de celui développé par la cour d’appel de Paris. Quand cette dernière déduisait la distinctivité de la marque de l’absence de reprise à l’identique du motif Burberry sur les produits présentés à l’audience, le tribunal européen exigeait lui une « variation notable par rapport à la représentation conventionnelle de tels motifs ». Entre ces deux méthodes d’appréciation, le degré d’exigence ne semble pas équivalent ( pour un commentaire plus détaillé sur ce point, se référer à l’article de A. Mercier et S. Colombet, L’appréciation de la distinctivité intrinsèque d’une marque constituée exclusivement d’un motif décoratif, Communication Commerce électronique n°6, juin 2013, étude 10).

    Claire Bosséno - cabinet Agnès Tricoire


  • 25 Mars 2010

    L’utilisation de marques comme mots clés sur le Web

    L’époque où Google était un simple moteur de recherche, aussi connu soit-il, est désormais révolue. Le géant américain a su diversifier ses produits pour devenir un acteur incontournable de l’économie virtuelle et de la publicité en ligne. Mais à quel prix ?

    Parmi les offres de publicité en ligne proposées par Google, figure le service « Adwords ». Ce service permet aux annonceurs, moyennant la réservation de mots clés, de faire apparaître de manière privilégiée, sous la rubrique liens commerciaux, les coordonnées de leur site en marge des résultats d’une recherche sur Internet, en cas de concordance entre le mot clé et le mot recherché.

    Le problème réside dans le fait que les annonceurs n’hésitent pas à choisir des marques à titre de mots clés. Les grandes sociétés voient ainsi leurs marques associées à l’offre commerciale de contrefaçons manifestes de leurs produits, apparaissant sous la rubrique liens commerciaux.
    Parmi ces sociétés, les sociétés Louis Vuitton Malletier, Viaticum, Luteciel et autres, mécontentes de voir leurs marques ainsi associées à des offres contrefaisantes, ont assigné la société Google pour contrefaçon de marque. Les juges du fond ont retenu sans grande difficulté la contrefaçon et ont condamné Google, en premier instance puis en appel, dans un arrêt du 23 mars 2006.

    C’était sans compter avec la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 20 mai 2008, a estimé que cette question était loin d’être évidente et nécessitait un recours préjudiciel, devant la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) pour éclairer sur l’interprétation de deux directives (marques et commerce électronique) au regard du litige.
    Il s’agissait notamment de savoir, au regard de la directive de 1988, texte central du droit des marques, et de son article 5 qui en constitue le cœur, si « le prestataire de services de référencement payant qui met à la disposition des annonceurs des mots clés reproduisant ou imitant des marques déposées, et organise par le contrat de référencement, la création et l’affichage privilégié, à partir de ces mots clés, de liens promotionnels vers des sites sur lesquels sont proposés des produits identiques ou similaires à ceux couverts par l’enregistrement de marques, fait un usage de ces marques que son titulaire est habilité à interdire ? ».

    L’avocat général, dans des conclusions communiquées en septembre 2009, avait considéré très clairement que Google n’est pas contrefacteur et qu’un titulaire de marque ne peut interdire à Google de mettre à disposition des annonceurs un service tel que « Adwords », au motif notamment qu’ « il est important de ne pas permettre que l’objectif légitime d’empêcher certaines atteintes aux marques n’aboutisse à interdire tout usage de marque fait dans le contexte du cyberespace ».

    La CJCE vient de se prononcer sur la question le 23 mars 2010 et a rendu une décision favorable pour Google, nettement moins pour les annonceurs.
    La Cour considère en effet que la réservation par un annonceur d’un mot clé constitue un usage de la marque et qu’à ce titre, une entreprise peut interdire l’usage d’un mot clé identique à sa marque « lorsque ladite publicité ne permet pas ou difficilement à l’internaute moyen de savoir si les produits ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers ».

    En revanche, s’agissant de la responsabilité de Google, en tant que prestataire de services de référencement, la Cour considère que le fait de stocker en tant que mot clé un signe identique à une marque et organiser l’affichage d’annonces à partir de celui ci ne constitue pas un usage du signe.

    Elle laisse enfin la question de la qualification de Google en tant qu’hébergeur en suspens et renvoie aux juridictions nationales le soin de déterminer le rôle, actif ou neutre, de Google, afin de la faire bénéficier, le cas échéant, du régime de responsabilité atténuée applicable aux prestataires techniques.

    Il semblerait donc que les annonceurs publicitaires soient les grands perdants de cette affaire, puisqu’ils engagent leur responsabilité eu égard à l’usage à titre de marque.

    Le célèbre site aux enchères, eBay, en a fait les frais dans deux jugements récents, en date du 18 septembre 2009 et du 11 février 2010, rendus par le Tribunal de Grande Instance de Paris : il a été condamné à payer, à la société Louis Vuitton et aux filiales du groupe du même nom, de lourdes indemnités.

    La société eBay avait en effet réservé, auprès de moteurs de recherche, des mots clés proches de marques appartenant au groupe, pour générer sur les pages de résultat correspondantes un lien commercial vers les sites eBay et capter ainsi les internautes initialement intéressés par les titulaires des marques.

    C’est de la contrefaçon de marques !

    Caroline Liannaz et Agnès Tricoire